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Qu’est ce que l’éducation populaire ?

Cette intervention se construit à la fois par rapport à une expérience de quelques années, aux différentes rencontres durant ces années mais s’est aussi appuyé sur les différents positionnements du CRAJEP Pays de la Loire, du CNAJEP et quelques ouvrages ( « L’éducation populaire réinterrogée » de JEAN Bourrieau ; « Éducation populaire et puissance d’agir » de Christian Maurel ; « Pour une culture de la participation » de Pierre Mahey ; « L’animation dans tous ses états (ou presque) » de Jean Claude Gillet ; « Du temps à ménager » de Robert Penin ...)

Parfois on évoque la difficulté à définir l’éducation populaire. Il convient d’identifier que la difficulté n’est pas tant conceptuelle que liée à la diversité des actions et des modes d’actions. Mais effectivement, il convient dans un premier temps de travailler sur les représentations, et en particulier les fausses représentations autour de l’éducation populaire.

L’éducation populaire ce n’est pas ou ce n’est pas que...

1 L’éducation populaire ce n’est pas (ou pas que) l’éducation du peuple.

Parfois on écrit qu’il existe une tradition républicaine dans l’éducation populaire. Il s’y dit qu’il « s’agit avant tout de former les citoyens pour les besoins de la production certes mais aussi pour les rendre critique » On peut repérer entre autres plusieurs auteurs : Rodary, Bourrieau... Mais c’est erroné et cela vient entre autres d’une grande confusion qui relève aussi de l’analyse portée sur certains mouvements et certaines associations.
Effectivement plusieurs associations complémentaires de l’école (AFEV, CEMEA, FRANCAS, Léo Lagrange, Ligue de l’enseignement...) agissent et soutiennent l’école et en particulier l’école publique. Effectivement la Ligue de l’Enseignement, la plus ancienne fédération d’éducation populaire, a depuis le début (1864) milité pour l’accès à l’école, pour le droit à l’école pour tous. Ces mouvements se réclament de l’éducation populaire, cela ne signifie pas que tout ce qu’ils font relèvent forcément de l’éducation populaire !
Au sein de l’Éducation Nationale, certains enseignant-te-s peuvent vouloir rendre les enfants scolarisés critiques, conscientisés ; et heureusement ! C’est même par exemple la source de motivation de Freinet dans l’éducation nationale. Il a été mobilisé en 14-18 et a combattu les Allemands dans les tranchées. Au retour de cette expérience dramatique et traumatisante ; il se questionne sur le rôle d’enrôlement de l’école. Comment l’École, l’Église, l’État a pu permettre l’envoi à la boucherie des tranchées de centaines de milliers de jeunes, avec que très peu de refus... Pour Freinet l’école a failli a sa mission : celle de permettre l’émergence de citoyen, sujet et acteur de leur vie au sein de la société...

Mais l’école obligatoire de Ferry ne répondait pas forcément à des objectifs toujours humanistes. Il avait comme objectif aussi de répondre à des besoins particuliers :

  • Besoin de la nouvelle industrie d’avoir du personnel qualifiés (lire, compter...)
  • Unification de la patrie par l’unification de la langue (interdiction des langues régionales...)
  • Idéologie nationale et patriotique. La France vient de perdre a guerre de 1870, il faut « préparer la revanche »

2 L’éducation populaire ne peut pas être seulement l’accès à la culture et aux loisirs

Ce débat a toujours existé et a parfois créé des déchirements idéologiques ; même à gauche. Lénine disait vouloir « élever le niveau culturel des masses en favorisant l’accession à la connaissance de toutes les richesses créées par l’Humanité » Nous ne sommes pas loin de la position de Malraux, ministre de De Gaulle, qui souhaite démocratiser l’accès la Culture (musée, musique classique, opéra...) LE PCF, à cette époque ira dans le même sens en revendiquant le 1 % du Budget de l’État à la Culture....
Au sein même de l’Éducation Populaire cette position est critiquée. Franck Lepage sort par exemple la formule : ACN = AIE, action culturelle nationale = action idéologique d’État.
Il n’est pas question seulement d’aller à la culture mais cette rencontre doit aussi s’appuyer sur une pratique culturelle, doit aussi s’appuyer sur une valorisation des pratiques amatrices et des cultures populaires (et pas seulement la culture officielle, classique, de l’Establishment) Ce débat sur la culture peut être posé de manière générale sur la question des loisirs...

Plus globalement cela pose l’enjeu du débat entre intégration et émancipation. Plus largement la question de la production et la consommation repose sur la dialectique acteur/consommateur, acteur/spectateur. Cela repose sur la dialectique intégration/émancipation. Quand nous parlons de socialisation, nous souhaitons avoir une action sur la personne pour devenir Sujet ou sur la personne pour qu’elle s’intègre dans la société, qu’elle se normalise ? Effectivement nous sommes persuadés que nous devons aider la personne dans une forme de marginalisation subie, dans une situation d’exclusion. Cette aide consiste à donner les moyens à la personne d’avoir, de prendre, de reprendre une place dans la société. Mais cet objectif ne s’inscrit pas dans une perspective « normalisante », mais bien émancipatrice. Effectivement le peuple, la personne est à la fois sujet et objet de l’éducation populaire et s’inscrit dans une perspective émancipatrice. « Les actions des fédérations et associations membres du CRAJEP contribuent à l’émancipation de la personne humaine, par l’éducation populaire
. » Texte d’orientation CRAJEP Pays de la Loire 2011- 2015.

3 L’éducation populaire ne peut se réduire à un service d’animation socioculturelle

Deux citations du Livre « L’éducation populaire ré-interrogée de Jean Bourrieau » :
« L’idéologie consensuelle de l’animation a entraîné l’animation socioculturelle vers un remplissage d’activité socio-éducatives ou de diffusion artistique sous le concept fourre-tout d’épanouissement ou de loisirs enrichissants à grands coups de formules éculées du type démocratisation de la culture » Foyer Ruraux Rhône Alpes- 1995.
« La volonté d’émancipation et de transformation sociale qui animait les militants associatifs fait la place à l’organisation consommatrice, à la conformation ou à la réparation... » Eric Favey Ligue de l’Enseignement 1995.

L’éducation populaire ne peut pas être qu’un espace qui applique plus ou moins bien les politiques publiques. L’éducation populaire ne peut pas être la courroie de transmission du parti politique, d’une institution publique, le bras droit de la municipalité. Et pourtant ce risque s’accroît dans l’histoire de l’Éducation Populaire avec deux phénomènes :

  1. La professionnalisation, avec les conséquences connues à deux niveaux :
    • évolution sociologique des intervenants : passage parfois du militant au militant salarié, au salarié avec des valeurs, au salarié de qualité mettant en place un service
    • gestion financière de structure, avec les contraintes de gestion : la masse salariale représente par exemple près de 70 % des charges d’une structure socio-culturelle avec des contraintes financières qui réduisent l’autonomie du projet vis à vis du financeur.
  2. L’institutionnalisation et le rapport à l’État et aux collectivités. Les politiques publiques sont des puissants leviers d’actions, et ces leviers peuvent avoir du sens. Être associé à la construction de ces politiques publiques ne peut qu’être intéressant et représenter un réel enjeu. Mais cela représente aussi un réel risque. L’Éducation Populaire doit trouver l’équilibre qui permette d’être dans le compromis sans être dans la compromission.

4 L’éducation populaire ne peut pas être une éducation d’État

En 1936, l’éducation populaire est très proche entre autres du mouvement ouvrier (sans revenir à toute l’histoire mais on peut évoquer les universités populaires, au niveau syndical on peut parler des bourses du travail avec des espaces d’éducation et culturel). Les fédérations, les associations qui se créent sur cette période ont des liens très forts avec le mouvement ouvrier.
C’est aussi la période où il y a une institutionnalisation avec l’État. Il faut noter qu’il en est de même pour le mouvement social (développement important du paritarisme en 1945. Les syndicats deviennent aussi des partenaires sociaux et cogèrent ainsi plusieurs instances : prud’hommes...) C’est un constat qui a, à la fois, ses intérêts et ses risques.
En 1936 cela se traduit par la création d’un sous-secrétariat d’État aux sports et aux loisirs. C’est pour certains un mouvement de l’histoire qui fait passer l’éducation populaire de son lieu d’émergence (lié au mouvement social, comme groupe social conflictuel) vers l’appareil d’État comme un groupe qui contribue à l’élaboration des politiques publiques de l’État.
Il existe, je pense la possibilité et la capacité pour les associations et mouvement d’éducation populaire d’avoir les deux positions. Les mouvements et les associations doivent « travailler » en interne une posture qui permette qu’une des deux positions ne détruise pas l’autre, ne prédomine pas sur l’autre. C’est une dialectique complexe qu’il est parfois difficile de faire comprendre au pouvoir politique. Mais c’est bien le rôle des associations, des syndicats de garder cette liberté de penser, afin de rester autonome et d’être aussi le gratte-poil du politique et non la courroie de transmission.

Pour appréhender cette difficulté il n’est pas inutile de se rappeler le contexte de la révolution française. Pour comprendre cette période historique et le propos ; il faut le remettre dans un contexte tendu de contre-révolution menée en particulier par l’aristocratie liée au clergé. Mais la loi de Chapelier de 1791 interdit le droit de s’associer. L’association qui remet en cause la décision républicaine (légitimée par le vote citoyen) est anti-démocratique. L’association autonome remet en cause la souveraineté républicaine.
Nous sommes dans la tension qui existe toujours aujourd’hui (sous d’autre forme) de la légitimité de la démocratie républicaine parlementaire et la légitimité associative ou sociale, syndicale...
En 2008 plusieurs mouvements (Francas, Cemea, Ligue de l’Enseignement...)à manifestaient contre le ministre de l’Éducation Nationale, Xavier Darcos ; suite à des baisses de subvention. Ce dernier répond : « Je ne vais pas financer des associations qui manifestent sous mes fenêtres » Et bien il convient de lui répondre le contraire. Car si on écoute M. Darcos cela signifie qu’il y a bien une instrumentalisation complète des associations par les pouvoirs publics !

Il doit donc exister un lien entre l’Éducation Populaire et l’État. Ce lien doit se traduire par :

  • Une reconnaissance de l’action de l’Éducation Populaire par l’État, les collectivités et les pouvoirs publics.
  • Une aide au fonctionnement (qui ne soit pas lié aux spécificités des projets associatifs)
  • Des actions partagées dans une logique de co-construction de ces actions.
  • La reconnaissance de nos associations et mouvements avec une réelle place dans la construction de politiques publiques.

Ces objectifs démontrent qu’il peut exister, qu’il doit exister des liens entre l’Éducation Populaire et l’État, les collectivités et les pouvoirs publics. Mais ces liens ne signifient en aucun cas que l’État peut définir et faire de l’Éducation Populaire.

Alors c’est quoi l’Éducation Populaire

1) C’est une praxis. C’est donc un rapport entre pratique et théorie ou entre théorie et pratique. Il faut le dire dans les deux sens. On parle aussi par exemple souvent de recherche-action mais on peut aussi parler d’action-recherche. Nous ne pouvons pas être seulement dans l’agir ou dans la conceptualisation. Il doit y avoir des aller-retours incessants et dans les deux sens. Il en est de même par exemple de la pédagogie. Le pédagogue qui conceptualise, qui recherche en laboratoire mais qui ne pratique jamais n’a que peu de valeurs et réciproquement.

2) C’est de l’éducation. L’éducation est une relation asymétrique, qui vise à contribuer à la construction progressive d’un sujet (sujet social, donc acteur de la société)
L’éducation sous-entend l’éducabilité : tout le monde a des capacités. La pédagogue doit trouver les moyens et les situations de les mettre en œuvre. Mais c’est un réel refus de l’idéologie du don. On ne naît pas bon ou mauvais, on le devient par un processus éducatif.

3) L’apprentissage passe par l’action collective. L’action collective a une fonction socio-politique.
Nous pouvons par exemple le repérer dans les luttes. Les luttes de 1968, de Devaquet en 1986, du CPE en 1994... ont permis à des milliers de jeunes de comprendre, d’appréhender, de participer à la puissance d’agir de l’action collective. L’action collective est un espace de construction de relation, d’élaboration collective de la pensée, de solidarité. Il est important de le vivre et d’appréhender la puissance de l’action collective.
Il en est de même dans l’action socioculturelle. Si on prend par exemple l’action internationale. Les projets débutent souvent dans une logique de voyages, de découvertes, de rencontres. Cela correspond schématiquement à une forme de tourisme (qui peut avoir une intelligence) Mais l’objectif va souvent être de créer les conditions d’une dynamique collective pour permettre une action collective de solidarité. Nous sommes donc dans la situation d’une action collective qui a une fonction socio-politique individuelle et collective. Paulo Freire (pédagogue du Brésil, pédagogie de l’opprimé) disait : « Personne n’éduque personne, personne ne s’éduque seul, les hommes s’éduquent ensemble par l’intermédiaire du monde »

4) Elle s’adresse au Peuple. Même si dans ce cas on s’adresse à trois conceptions du peuple :
- La conception citoyenne correspondant à toutes les personnes votant ou allant voter un jour (siècle des lumières, révolution française)
- La conception anthropologique du peuple qui se réfère à la culture et à des logiques identitaires.
- La conception sociale : classe sociale. Même si aujourd’hui (par rapport au 19ème siècle ; il existe des classes intermédiaires cela plus complexe la division en classes sociales cela ne veut pas dire qu’il n’existe pas de classes sociales. )

5) Le peuple est à la fois objet et sujet.
Le point cinq affirme que le point 3 et 4 sont intimement liés.

6) L’éducation populaire a une vision sociale et un objectif de transformation sociale. En ce sens, l’éducation populaire génère des processus. On transforme les relations aux savoirs, les relations à l’autre dans l’action collective afin de faire évoluer plus globalement les rapports sociaux. En ce sens l’éducation populaire s’inscrit dans une perspective politique avec une perspective d’émancipation individuelle et collective.
Extrait projet du CRAJEP Pays de la Loire : « A cet effet, elles représentent par la vie associative qu’elles recouvrent, de véritables espaces d’engagement des jeunes et des habitants. Elles sont des lieux de promotion et de participation citoyenne, elles portent de véritables projets sociaux, éducatifs et culturels, contribuant ainsi au développement local durable. Associations dynamiques, elles participent à la transformation sociale par la mise en œuvre de démarches spécifiques ayant pour objectif d’améliorer la qualité de vie des personnes. »

7) L’éducation populaire s’inscrit dans des espaces associatifs militants démocratiques.
Démocratique. C’est une condition essentielle, qui n’est pas spécifique à l’éducation populaire (nécessaire pas suffisante pour la définir) Freinet disait « Je ne peux pas être démocrate hors de l’école et dictateur au sein de ma classe » Et effectivement la démocratie ne pas s’instruire, elle s’apprend parce qu’on la pratique.
Par démocratie nous n’entendons pas seulement la démocratie parlementaire, mais aussi la démocratie participative, la démocratie directe. Et nos organisations associatives sont souvent organisés avec une articulation de ces trois démarches démocratiques.
Associations militantes. L’éducation populaire ne peut pas être organisée par le secteur marchand. Il ne peut qu’être associatif parce qu’il y a un projet. Militant et pas bénévoles. Le bénévolat est un statut comme l’est aussi le salarié, le volontaire. Mais les personnes à travers ces trois statuts peuvent être militant-es ou pas. Ce n’est pas qu’une question sémantique. Le bénévolat peut être une étape de vie : « Vous avez du temps parce que à la retraite, au chômage, étudiant... Vous êtes isolés... Vous avez envie d’être utile... Alors venez nous voir et appréhender les différences espaces de bénévolat... » Le militantisme s’inscrit dans un projet, nécessite d’adhérer et de contribuer à la mise en œuvre d’un projet.

Régis Balry.
Président CRAJEP Pays de la Loire.

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